Il y a tout juste 150 ans, Paris accueillait l’exposition universelle d’art et d’industrie de 1867. Organisée par Napoléon III afin de valoriser l’Empire et sa puissance industrielle, il s’agit de la 2ème édition organisée à Paris après celle couronnée de succès en 1855. Cette manifestation, inaugurée le 1er avril s’est tenue sur le Champ de Mars durant sept mois, accueillant un peu plus de dix millions de visiteurs. L’occasion de faire un focus sur un pavillon emblématique de cette manifestation qui a voyagé à travers le temps et l’espace.
Le chalet préfabriqué, un principe novateur en plein essor
Lors de cet événement, à proximité du palais elliptique qui restera le monument phare de l’exposition, est construit un chalet destiné à abriter la commission impériale. À sa tête, est placé le prince Napoléon cousin de l’Empereur, tandis que Frédéric Le Play ingénieur des mines est nommé commissaire général. Ce bâtiment porte le nom de son concepteur, l’entrepreneur Haret & fils, spécialisé sur Paris dans la conception de chalet en bois préfabriqué et démontable.
Son principe constructif permet de concilier la tradition d’une structure en pan de bois avec l’emploi novateur du béton, comme le souligne François Ducuing dans un article consacré au « chalet de M. le Commissaire général » extrait de L’Exposition Universelle de 1867 illustrée : « Le principe de la construction est le bois, auquel les bétons de MM. Coignet ont servi d’imbrication. Figurez-vous que, pour faire l’ossature de l’édifice, on a transporté des arbres entiers, tels qu’ils sortaient de la forêt, et qui ont été livrés successivement aux machines, engrumes, scies circulaires et sans fin, toupies, machines à raboter, à mortaiser, à découper, que sais-je encore ? Si bien qu’on est arrivé, sans avoir, pour ainsi dire, recours à la main de l’homme, à édifier une construction se montant et se démontant à volonté. »
En 1867, dans son Bulletin monumental ou collection de mémoires et de renseignements sur la statistique monumentale de la France, M de Caumont en fait la critique : « En attendant, voici le chalet de la commission, en briques et bois, avec une petite tour carrée dominant le tout. Les poutres jaunes, très rapprochées, sont en saillie sur le fond rouge. Il me semble qu’il y a trop de bois, et leur disposition invariablement verticale finit par être monotone ».
À l’issue de cet événement, le chalet semble subir un sort particulier comparativement à l’ensemble des pavillons, puisque près d’un an après la clôture de l’exposition, un article paru dans La Presse en date du 18 octobre 1868 indique : « Plus rien maintenant au champ-de-Mars. Toutes les constructions ont été enlevées, et à l’heure qu’il est, l’élégant chalet de la commission impériale est le seul vestige, resté debout, qui rappelle la splendeur du palais démoli ».
Le 30 décembre, le même journal affirme encore : « Chose bizarre ! tous les vestiges du palais de l’exposition n’ont pas disparu ; à proximité de l’avenue de Labourdonnaie, se dresse encore l’élégant chalet de la commission impériale ! Pourquoi ce fragile édifice a-t-il survécu, seul, à toutes les démolitions ? Nous ne saurions le dire. Peut-être, comme le palais du Bardo, est-il destiné à devenir l’ornement de quelqu’un de nos jardins publics. On ne peut guère expliquer autrement sa présence actuelle au Champ-de-Mars. »
Le chalet est pourtant bien réservé par son concepteur pour son usage.
Il est par la suite acheminé et remonté dans une station balnéaire en vogue du Calvados, à Villers-sur-Mer. Cette commune en plein essor se développe comme ses voisines Cabourg, Houlgate, Deauville et Trouville, formant un chapelet de stations regroupées sous l’appellation touristique de Côte Fleurie en 1903.
Le terrain retenu par Haret bénéficie d’un magnifique panorama sur la mer, dans le nouveau lotissement des Falaises (loti et commercialisé depuis 1860 par Félix Pigeory un investisseur parisien).
D’anciens pavillons véritables objets de convoitise
À l’instar du palais du Bardo, acheté par la ville de Paris et placé en 1868 dans le nouveau parc de Montsouris, cette pratique de revente de pavillons à l’issue d’exposition universelle est courante à cette époque et perdurera au cours des sessions suivantes.
Ainsi, Villers-sur-Mer accueillera le chalet Koechlin, ex-pavillon de l’Alsace de l’exposition de 1867, et quelques années plus tard la villa Madagascar provenant de celle de 1878. Haret & fils ne sera d’ailleurs pas le seul sur ce créneau de la villa préfabriquée puisque son concurrent le plus sérieux Waaser se fera une spécialité du chalet mobile et exposera lui aussi son œuvre en 1867 avec la villa Camélia, remontée ensuite sur le front de mer de Trouville.
Le transport du chalet est facilité par l’arrivée du train en 1863 sur cette section de côte Normande avec la gare terminus de Trouville-Deauville. Les 9 km restants du parcours sont effectués par la route, puisque la station de Villers ne sera desservie par une voie secondaire qu’en 1882.
Ce bâtiment avait toutes les raisons d’être acheté et remonté dans une station balnéaire du pays car dans cette seconde moitié du XIXe, l’engouement pour l’éclectisme est à son apogée (l’historicisme, l’exotisme et la mode du chalet Alpin formant ses trois courants dominants).
Il est utile de rappeler qu’en 1860, la Savoie est rattachée à la France, cet événement coïncide avec la découverte de la montagne et de l’alpinisme par la bourgeoisie et l’aristocratie. La villa chalet se réfère à l’habitat traditionnel des Alpes, son côté pittoresque et bucolique est plébiscité dans les stations balnéaires et thermales du second empire. Exemple avec les frères Pereire qui mettent le chalet suisse à la mode dans la promotion immobilière de leur lotissement de la ville d’hiver à Arcachon.
Evolution du bâti au fil du temps
Contrairement à certains pavillons qui ont subi de nombreuses transformations au cours de leur remontage (exemple avec le pavillon du Prince de Galles de l’exposition de 1878, vendu en 2 lots dont un tiers est remonté à Courbevoie avec une inversion des niveaux et une modification des bulbes en toiture), le chalet Haret présente fidèlement le même aspect en termes de volumétrie et de décors extérieurs.
La profusion de décors en dentelle de bois retrouve sa place d’origine en façade, tout comme les lambrequins de rives en toiture, la haute crête qui domine le pavillon principal et l’épi de faîtage qui surmonte le campanile de la cage d’escalier.
Le chalet étant reconstruit sur un terrain situé à flanc de falaise, le soubassement est conçu avec un niveau de sous-sol semi-enterré pour pallier le fort dénivelé de la parcelle.
A contrario, après examen des plans d’origine, tout laisse à penser que la distribution intérieure a pu subir des réaménagements pour l’adapter à son nouvel usage de lieu de villégiature estival. Notamment l’installation d’une cuisine en sous-sol, de chambres et d’une pièce d’eau au 1er étage, de chambres pour les domestiques sous les combles.
Les cartes postales anciennes du début du XXe montrent aussi que le pignon Ouest de la villa est très rapidement habillé d’un bardage bois posé à lames horizontales qui renforce l’image de chalet de montagne, cette modification est probablement une réponse à des infiltrations dans le rempli en brique des pans de bois fortement exposés au vent d’Ouest.
Dans l’entre-deux guerres, une extension est construite en façade Sud dans un style néo-normand avec faux pans de bois en ciment et couverture en zinc et tuile plate du pays. Les teintes d’origine ont probablement évolué à cette période pour suivre la mode prédominante du néo-normand. Le rempli en brique a ainsi été entièrement recouvert d’un badigeon de teinte blanche contrastant avec les pans de bois repeints en rouge sang de bœuf.
La fragilité d’une partie des ornements de toiture en bois sur façade mer et pignon Ouest, commencent à cette date à faire les frais des tempêtes hivernales comme en attestent plusieurs cartes anciennes.
Durant les 30 glorieuses, comme l’ensemble des stations du littoral français, la commune de Villers-sur-Mer va devoir évoluer pour faire face à la démocratisation des bords de mer (Villers 2000, un programme immobilier d’envergure est construit en limite Est de la station), de nombreuses villas et anciens hôtels inadaptés à ces nouveaux usages sont démolis sur le front de mer. Néanmoins, la frange Ouest de la ville et le lotissement construit à flanc de falaise sont épargnés par ces bouleversements.
Au fil du temps, le chalet subit des pertes de décors en façade avec la simplification des dessins de remplis et la disparition de la quasi-totalité des ornementations en toiture (lambrequin, épis, crête, mitres de cheminée), la couverture d’origine en tuile mécanique est remplacée par de l’ardoise.
Dans l’après-guerre, la dépose du garde-corps du belvédère, ainsi que l’occultation côté Ouest de son dernier niveau avec la pose d’un bardage, modifient grandement la silhouette générale de la tour d’escalier. Une extension construite en parpaing enduit se greffe sur le pignon Ouest du volume principal venant alourdir et dénaturer la lecture du pignon d’origine.
Le chalet Haret sera rebaptisé à 2 reprises, passant de l’appellation Ré-si-mi au début du XXe siècle à celle plus récente de villa Miramar.
En 2009, la mise en place d’une ZPPAUP sur la commune a été l’occasion de reconnaître la grande qualité patrimoniale et architecturale de cette construction puisqu’elle est désormais référencée et protégée comme « bâtiment exceptionnel, élément majeur de Villers, à conserver, la démolition est interdite ».
150 ans après sa présentation à l’exposition Universelle de Paris, le chalet a gardé sa silhouette générale et campe encore fièrement sur cette falaise qui domine la baie de Seine. Excepté l’extension côté Ouest, les modifications constatées ne sont en rien irréversibles, tous ces éléments pouvant aisément être restitués dans le cadre d’un programme ambitieux qui pourrait être soutenu par un label de la Fondation du patrimoine.